Cette descendante de Saint Louis vient de célébrer les trente ans de son association Malte-Liban, dont l’objet est de recueillir les fonds nécessaires pour promouvoir les opérations de l’Ordre de Malte au Liban.
Le Figaro Jean-Baptiste Semerdjian jbsemerdjian@lefigaro.fr
Avoir peur ? C’est impossible. J’avais peur pour les autres, pas pour moi. » C’est ce que répond Françoise de Bourbon-Lobkowicz quand on lui demande si l’idée de faire demi-tour aurait pu traverser son esprit, lorsqu’elle menait des convois de médicaments vers les victimes de bombardements au Sud-Liban, en 1985. Héritière d’un nom qui porte l’histoire de France, mariée avec un prince de Bohême, Édouard de Lobkowicz, à Notre-Dame de Paris… Au premier abord, la fondatrice de l’association caritative de soutien à l’Ordre de Malte au Liban, avec ses bracelets en or qui cliquettent au poignet, fait bien plus princesse qu’amazone de l’humanitaire.
Il faut dire que princesse, Françoise de Bourbon-Lobkowicz l’est. Il sied d’ailleurs de l’appeler ainsi. À bientôt 90 ans, cette descendante directe de Saint Louis et Louis XIV a clairement hérité de la piété de l’un et de la force d’esprit de l’autre. Petit détail, elle entend mal. « Depuis la violente agression dont j’ai été victime, je suis de plus en plus sourde.» C’était en 1996, dans les rues de Paris. Une agression probablement liée au poste d’ambassadeur de l’Ordre souverain de Malte au Liban qu’occupait alors son époux. Elle fait donc répéter ses interlocuteurs en riant de ce léger handicap. Françoise de Bourbon-Lobkowicz rit beaucoup. Elle a pourtant côtoyé le pire.
C’est un matin très tôt, durant l’Occupation, que son père fut arrêté par les nazis puis déporté au camp de Dachau, en Bavière. «Il les a tellement insultés qu’ils n’ont pas osé emmener le reste de la famille », affirme-t-elle en regardant une photo de ses parents accrochée au mur dans son appartement des beaux quartiers de Paris. «Le prince de Bourbon est un exemple pour tous, et je dois m’incliner devant une telle personnalité », écrivit alors son codétenu Léon Blum. Un «rouge» qui complimente le sang bleu! À la Libération, son père rentre sain et sauf.
« Comme je parlais allemand, je suis partie avec le Secours catholique en Autriche, car il y avait l’exode des Hongrois qui fuyaient la révolution de 1956. Et après avoir pris des risques là, je suis allée à Berlin-Ouest pour soigner ceux qui fuyaient l’URSS. »
L’actuel président du Sénat, Gérard Larcher, loue «une femme avec une foi exceptionnelle qui a consacré sa vie aux autres ». Quand son mari est nommé au Liban en 1980, elle s’investit spontanément pour ce pays meurtri. Françoise de Bourbon-Lobkowicz parle beaucoup du Liban, son pays de coeur, déchiré par la guerre et les bouleversements régionaux depuis des années.
Elle raconte comment elle a accompagné son mari sur le terrain pour la construction et le développement des douze centres médico-sociaux de l’Ordre de Malte. Des centres ouverts à tous, fidèles à la formule de Pasteur, que l’Ordre de Malte a faite sienne « Je ne te demande pas quelle est ta race ou ta religion, mais quelle est ta souffrance. »
Dans les récits qu’elle fait avec passion, les réfugiés affluent, les médicaments manquent, les civils s’entraident miraculeusement et les balles sifflent. « Quand on a eu une kalachnikov pointée dans le dos, on en oublie la date», dit-elle, dans une pirouette, pour justifier un trou de mémoire. Le pape Jean-Paul II, à l’origine de la nomination de son mari, déclarait que ce pays était un message au monde entier («La disparition du Liban serait sans aucun doute l’un des grands remords du monde. Sa sauvegarde est l’une des tâches les plus urgentes et les plus nobles, que le monde d’aujourd’hui se doit d’assumer », avait-il notamment déclaré). La princesse l’a pris au pied de la lettre. Elle est devenue un messager. « C’est impossible de ne pas être sensible à 6 000 années d’histoire. Tous les conquérants sont passés là ! Quand on touche à ce pays, on touche aux racines culturelles du monde », tranche-t-elle.
En 1987, Françoise de Bourbon-Lobkowicz crée donc l’association Malte Liban grâce à laquelle elle récolte des fonds – auprès de donateurs surtout français – pour promouvoir les opérations de l’Ordre de Malte au Liban au service des pauvres et des malades.
Trente années plus tard, les résultats sont au rendez-vous : les centres soignent plus de 200000 personnes par an grâce aux dons de particuliers et d’organisations comme la Fondation Pierre Fabre ou encore le ministère français des Affaires étrangères. Françoise de Bourbon-Lobkowicz tient à souligner la diversité de l’origine des fonds. Elle est très touchée par les plus modestes, accompagnés de lettres sur lesquelles il est parfois sobrement marqué: «Nous donnons 10 euros. Priez!», mais apprécie évidemment aussi les dons de «gens très fortunés». « Cela ne suffit jamais », déplore-t-elle cependant.
Comme elle est peu prolixe pour égrener ses propres actes de bravoure, elle qui, aujourd’hui encore, se rend toujours sur le terrain pour visiter les centres, s’informer de leurs besoins, témoigner de leur quotidien, il faut interroger l’actuel ambassadeur de l’Ordre de Malte au Liban et président de l’association, Charles-Henri d’Aragon, pour en savoir plus. « Ils ont construit ces centres afin de protéger les chrétiens là où ils étaient le plus menacés, pour recréer du lien avec les autres communautés, principalement musulmanes.» La princesse aime d’ailleurs parler de Mme Rabab Sadr, une personnalité chiite très respectée qui gère l’un des centres près de Cana. « La seule chose qui l’intéresse, c’est d’évoquer nos religions pour trouver nos points communs. Tous les jours, ses infirmières travaillent voilées avec la croix de l’ordre de Malte sur la poitrine. Elles en sont très fières ! »
Son engagement, Françoise de Bourbon-Lobkowicz l’a aussi porté aux Nations unies, entre 1990 et 1995, comme membre de la délégation du Saint-Siège. «On y voyait très bien le jeu international contre le Liban », glisse-t-elle. Les mêmes tensions internationales qui apparurent dans la lutte contre Daech. D’ailleurs, quand l’État islamique s’approcha d’un centre de l’ordre de Malte, au nord du pays, « il fallut littéralement ligoter la princesse pour l’empêcher d’y aller », assure, sourire en coin, d’Aragon. Elle avait peur pour les autres. Pas pour elle.